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parler fait fuir les betes
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2 juin 2007

II

 CHAPITRE 4

 

 

 

 

 

 

Je marche lentement pour regagner l’hôtel. Je réalise difficilement ce qui vient de se passer. Je vérifie que j’ai toujours la carte de Jeff dans ma poche ; je n’en reviens pas de la manière dont j’ai pu m’aplatir devant lui, tout comme j’ai du mal à croire qu’il fera quelque chose pour moi. Il n’y a aucune raison pour qu’il agisse de la sorte, ami d’enfance ou pas. J’appellerai mardi et,soit je n’arriverai pas à le joindre, soit il me dira que son plan n ”a pas marché et je lui dirai alors que ça n’est pas grave,salut et à dans quinze ans.

Et en plus j’ai insisté pour payer la note. Quel crétin je fais ! Plus je vieillis et plus je ressemble à mon père : un tocard, un faux-cul et un gugusse.

Quand j’arrive au bas de l’hôtel, je suis en colère après moi, après Jeff et après Louise. Qu’est-ce qu’elle vient faire là-dedans ? Rien bien sûr, mais je ne peux pas m’empêcher de la mêler à tout ce qui m’arrive. Et puis si elle avait été différente, je ne serais pas parti de cette manière et je ne me serais pas retrouvé dans une telle situation. Facile ? Oui, et alors ?

Je me retrouve dans la chambre. Je vais prendre une douche pour me calmer. Les serviettes de cet après-midi sont encore humides mais ça fera l’affaire, je m’allonge sur le lit et j’allume la télé. Je joue sans arrêt avec la télécommande. Une chaîne câblée diffuse un porno. Des filles dont les seins refaits semblent trop artificiels, prennent des positions trop acrobatiques pour être crédibles et cependant l’ensemble est tout de même efficace.

Au bout d’un moment mon truc se réveille et je me détends. Louise se refusait souvent à moi. Pas au début, au contraire, elle semblait apprécier nos parties de jambes en l’air, et je dirais même qu’elle les recherchait. Petit à petit, le temps entre deux séances est devenu de plus en plus long. Je comptais en jours, en semaine puis en mois. Chaque fois je devais insister pour qu’elle accepte de faire l’amour, si tant est que l’on puisse appeler cela faire l’amour. Un rapport où l’on est à demi ensommeillé, qui ressemble à un combat de lutteur et qui se termine par des plaintes le lendemain parce que Louise est fatiguée pour n’avoir pas eu son compte de sommeil.

J’en avais fini par me soulager tout seul. J’achetais parfois des revues pornos avec des annonces d’amatrices dont les physiques imparfaits me raccrochaient à la réalité.

Au bout d’une vingtaine de minutes, le sommier de la chambre voisine se met à gémir et une voix féminine en fait autant. La tête de leur lit cogne de plus en plus vite contre la cloison, puis le silence, puis la douche.

Sur l’écran de la télé, une blonde et en train de sucer un type pendant que trois autres se masturbent autour d’elle. Je finis par les accompagner et je me termine dans la salle de bain.

Ces petites séances me laissent toujours triste, mais elles me permettent de dormir quand je n’y tiens plus. Est-ce vraiment normal de devoir encore passer par là à mon âge ? Je n’en sais rien, je fais avec. Cette fois encore, je ne coupe pas à mon petit moment de déprime. Je me demande si je vais devoir me masturber pour le restant de mes jours. Je quitte Louise, je n’ai pas l’intention de revenir vers elle et pourtant, je suis incapable de m’imaginer faire l’amour à une autre. Toucher pour la première fois le corps d’une inconnue doit être une sensation bizarre quand on a vécu si longtemps avec la même femme, comme si ce geste marquait vraiment la fin réelle de ce qui a pu être votre histoire.

Je me recouche et je change de chaîne. Entre un quatuor de cordes et la chasse en Sologne, j’ai du mal à choisir. J’opte donc pour la rediffusion d’un jeu. Y’a-t-il vraiment des gens qui veillent si tard pour regarder ces programmes, ou alors elles ne sont destinées qu’au insomniaques dans les chambres d’hôtels qui viennent de quitter leurs femme, ou alors c’est une sanction disciplinaire dans les chaînes de télévision : le type qui a fait une connerie énorme est condamné à réaliser l’équivalent de trois heures d’émission sur la pêche à la mouche en Lorraine.

Je me sens épuisé et pourtant je sais que je ne vais pas réussir à dormir. Pas après une telle journée. Je me relève, me rhabille et descends jusqu’à l’accueil où il y a un distributeur de boissons. La fille de l’après-midi n’est plus là, j’entends le son étouffé d’une télé dans une petite pièce derrière le comptoir, je crois vaguement reconnaître les jappements d’un chien et les encouragements de son maître. Tandis que je cherche de la monnaie dans mes poches, un homme vient prendre un café. Il me regarde d’un air bovin, glisse ses pièces dans la machine et, tout en surveillant son gobelet, se met à se gratter consciencieusement les fesses. L’opération terminée, il saisit son gobelet et s’éloigne en marmonnant un “ ‘soir ” auquel je ne réponds pas. Je prends un long noir et je remonte dans ma chambre.

Il n’est pas loin d’une heure du matin, nous sommes donc dimanche. J’essaye de prévoir ce que je vais faire faire de ma journée mais sans succès. Rien ne me fait réellement envie. Et lundi ? Il me faut organiser ma nouvelle vie sans Louise pour me dire ce que je dois faire, et je ne sais pas comment m’y prendre. Je ne sais pas quoi faire d’un dimanche, alors de toute une vie ! Une vie longue comme un dimanche.

Je finis mon café. Je me laisse bercer par les images de la télé et je m’endors enfin.  

 

 

 

 

 

CHAPITRE 5

 

 

 

 

 

Le dimanche est passé comme …un dimanche. C'est-à-dire sans bruit, sans goût, sans laisser de trace quelconque. Je déteste les dimanches : ce sont des jours morts dont on ne voit pas la fin. Quand j’étais gamin, c’était messe obligatoire le matin, avec pointage à la sortie pour mériter le droit de faire la communion. Et puis c’était le repas, interminable, jusqu’au milieu de l’après-midi, avec entrée froide, poulet frites ou rôti qu’on terminait froid le soir. Pour couronner le tout, il y avait l’immanquable génoise couverte de sucre glace que je détestais. Seul oasis dans ce désert dominical, le film d’aventure à la télévision, en fin d’après-midi. Et puis venait l’heure où je m’inquiétais de mes devoirs et le début de l’angoisse à l’idée de retourner à l’école le lundi matin. J’ai conservé depuis ce temps une boule au creux de l’estomac qui réapparaît invariablement chaque fin de week-end.

Le dimanche était donc tout un jour de congés gâché par les rituels assassins, qu’il fallait respecter parce que c’était comme ça et qu’il n’y avait pas à discuter.

 Et surtout, je me souviens du supplice que représentait les “ habits du dimanche ” dans lesquels j’étais mal à l’aise. Ma mère me faisait porter les pantalons en tergal que mes frères avaient mis avant moi et qui d’après elle, étaient encore très bien, sans se soucier un instant que ce tissus me donnait des démangeaisons qui me rendaient fou et me laissaient les jambes couvertes de boutons à la fin de la journée.

 

Le lundi je me lève tôt pour aller travailler. Je prends un café au distributeur et j’achète un croissant sur le chemin du métro. J’arrive avant tout le monde devant les établissements Crum, livraisons de fournitures aux collectivités, où je suis standardiste intérimaire.

Madame Rosyne qui a la clé, n’arrive qu’à huit heures trente. J’ai encore un quart d’heure à patienter. Je m’assois sur les marches de l’entrée principale et je réfléchis. Depuis le veille, une idée me trotte dans la tête, un pressentiment dont je n’arrive pas à me défaire : Louise est tout à fait capable de venir faire un scandale ici, devant tout le monde, parce qu’elle sait que je viendrai travailler car j’ai trop besoin d’argent. C’est le seul endroit où elle est sûre de me retrouver.

Quand madame Rosyne arrive, elle est surprise de me trouver là mais ne dit rien. Elle me trouve juste fatigué et me demande si je ne suis pas fatigué. C’est la plus ancienne de l’entreprise ; elle travaille ici depuis la création, elle connaît tous les clients, toutes les affaires, elle a été le bras droit de chaque patron qui se sont succédés, d’après ce que j’ai entendu dire, et pourtant elle est gentille.

Pour une raison que j’ignore, elle m’a pris en sympathie dès mon arrivée. Son petit côté “ mère poule ” m’agace un peu mais je me dis qu’elle aurait pu être une peau de vache.

Je partage mon bureau avec deux filles. Je remplace une troisième qui est en congés maternité. La place est d’ailleurs plutôt destinée à du personnel féminin, mais l’agence d’intérim s’était trompée dans les fiches et comme on avait besoin de quelqu’un à tout prix, j’ai fait l’affaire.

Les filles ne m’acceptent pas et mes le font sentir. Ca ne me gène pas outre mesure, pendant qu’elles m’ignorent, je peux regarder leurs jambes et le reste à la dérobée sans qu’elles le remarquent, ce que je considère comme une juste compensation.

Mon travail consiste à recevoir les visiteurs, à répondre au téléphone et accessoirement appeler les clients pour prendre leurs commandes. Rien de bien violent en somme. 

Je surveille l’entrée nerveusement, je regarde à la fenêtre toutes les cinq minutes pour vérifier que Louise n’arrive pas. J’ai les boyaux en feu, je vais trois aux toilettes dans la matinée. Quand midi arrive, je n’ai pas faim, une boule de bowling me replace l’estomac. Je me contente d’un café au distributeur et je vais marcher un peu dehors, pour tenter de me détendre.

Je reprends mon poste en début d’après-midi. J’appelle quelques clients, je jette des coups d’œil nerveux à l’horloge. L’heure n’avance pas, c’est une journée calme. Petit lundi, grosse semaine. Quelle connerie ! C’est le genre de phrase qui ne veulent rien dire et que je déteste.

Un peu plus tard, je suis occupé à remplir quelques bordereaux de commandes, je relève la tête. Elle est là, au milieu du hall. Je ne sais pas depuis combien de temps elle s’y trouve. Elle me regarde. Ses yeux sont cernés et gonflés. Elle a dû sûrement beaucoup pleurer, beaucoup fumer et peu dormir.

Elle s’approche du guichet et je n’entends plus que le battement de mon cœur dans mes tempes. J’ai du mal à contrôler le tremblement de ma main.

“ - bonjour…

- Tu rentres ?

- Ecoute Louise, on ne va pas parler de ça ici…

- Tu rentres, oui ou non ?

- J’arrives, ne bouge pas.

Je lui dis que j’arrive et pourtant je ne parviens pas à quitter mon guichet. La vitre qui nous sépare m’offre il est vrai une protection que j’hésite à abandonner. Derrière moi, les filles ont arrêté de taper sur leur ordinateur pour suivre la scène.

Je la rejoints finalement.

“ - Tu ne rentres pas ? Pourquoi tu ne rentres pas ? Pourquoi tu ne veux pas parler ? Tu ne crois pas que ça pourrait s’arranger si tu voulais parler de temps en temps, hein ? Réponds !

Elle parle d’une manière froide en martelant ses syllabes et je comprends qu’elle a décidé de me faire payer mon départ.

“ - Pourquoi tu me fais ça, hein, pourquoi ?

Elle parle de plus en plus fort. Je ne répons pas. A cet instant je ne pense qu’au scandale qu’elle est en train de faire. Je ne sens que le regard des deux connes derrières leur vitre qui doivent se sentir comme à guignol. Je prends Louise par le bras pour l’emmener vers la sortie. Elle se dégage violemment.

“ - Tu ne me touches surtout pas !

- Viens Louise, parle moins fort, on nous regarde.

- Je m’en fous, tu entends, je m’en fous. Tu me plaques comme une merde, tu me laisses toute seule du jour au lendemain et monsieur ne veut pas de scandale, c’est ça ? Tu me prends pour une conne ? T’as honte, j’espère !

- S’il te plait, Louise, arrête.

Je parle doucement, presque un murmure. J’ai l’espoir fou de la calmer. Je la supplierais presque. Mais je sais que ça ne sert à rien, que la machine est en marche et que rien ne l’arrêtera. Je suis mort, tué par le ridicule.

“ - Alors, c’est laquelle que tu baise ?

- Y’a personne Louise. C’est juste que nous deux, ça ne va plus, c’est tout.

- Y’a personne  Tu penses que je vais te croire ? Tu ne sais rien faire tout seul, tu ne prends jamais de décision. Ne me dis pas qu’il n’y a pas une salope derrière toute cette histoire !

Et Louise continue de crier de plus belle et je finis par me laisser tomber dans un des fauteuils de l’accueil et j’attends que ça se passe. Je ma laisse ensevelir par les cris de Louise qui gesticule, arpente le hall, bouscule au passage le cendrier et les plantes vertes. Les secrétaires du premier étage sont sorties de leur bureau et observent la scène. Madame Rosyne qui est du nombre, me regarde, effarée.

Je n’ose plus regarder personne. Monsieur Pétilong, le contremaître du quai d’expédition, débarque dans le hall après qu’une des deux filles du standard l’ait appelé. Il attrape Louise par les épaules et la conduit fermement vers la sortie. Elle se laisse faire bien qu’elle continue à crier. Quand il revient, je suis toujours effondré sur mon fauteuil, à fixer la table basse recouverte de revues.

“ - Les histoires de famille, c’est à la maison. Pas ici.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE 6

 

 

 

 

 

 

 

J'ai tué Louise. Des dizaines de fois, de manières différentes. On fait des miracles avec un cendrier sur pied et même avec une table basse, en y mettant du sien. D'accord, c'était en rêve, mais sur le coup, ça m'a fait du bien.

 

Quand Louise a quitté le hall, escortée par le contremaître, j'aurai donné n'importe quoi pour que le vieux linoléum s'ouvre sous mes pieds pour m'engloutir. Je l'ai fixé longtemps mais le sol est resté désespérément immobile. Alors, je me suis réfugié dans les toilettes. J'en ressors au bout d'un long, très long moment. Quand je regagne mon bureau, les deux secrétaires ne me quittent pas des yeux. Je ne sais pas ce qu'elles attendent de moi, que je pleure, que je parle, que je les envoie balader? Sans un mot je m'assieds. Pour me donner une contenance, je remets un peu d'ordre sur mon bureau qui est vide, mis à part quelques bons de commandes que j'empile soigneusement. J'ai envie de me sauver, de courir très loin. Mais j'ai trop besoin de mon salaire à la fin de la semaine. Je dois tenir jusqu'à demain, jusqu'à ce que j'appelle Jef.

 

L'après-midi est interminable. Quand il est enfin dix-sept heures, j'attrape mon blouson et je file sans demander mon reste. Je prends le bus qui va au centre commercial. Si ce soir je veux échapper aux hamburgers, quelques achats s'imposent. Et surtout, je veux oublier tout ce qui c'est passé cet après-midi. Et traîner dans les rayons d'un supermarché me semble un bon moyen.

 

 Bizarrement, je me sens un peu soulagé. Je savais que Louise ne lâcherait pas si facilement, que ce serait sa petite vengeance. Le scandale que j'appréhendais tant est maintenant derrière. Je suis tranquille. Enfin, je pense. Elle peut très bien revenir ou me préparer autre chose.

 

Un panier rouge à la main, j'arpente les allées du supermarché à la recherche de mon repas. Je prends du pain, du fromage, des yaourts et du café soluble, pour ma dose quotidienne de caféine. Je craque aussi pour du chocolat et je termine par un détour par le rayon librairie, où j'achète une édition de poche d'un polar à succès.

 

En me rendant vers les caisses, je passe devant un miroir. L'image qu'il me renvoie n'a rien de flatteur. Mal rasé, les vêtements chiffonnés, mon allure n'est pas des plus fraîche. Je fais donc demi-tour, et je complète mon cabas avec des sous-vêtements et le nécessaire pour rétablir un état d'hygiène acceptable chez un être humain.

Au passage en caisse la vendeuse a un petit sourire en faisant défiler mes achats devant son lecteur optique. Au bip qu'elle déclenche à chaque article, il me semble qu'elle ralentit ostensiblement à mesure que se profilent sur le tapis mes dessous neufs. Elle se fout de moi, j'en suis sûr. J'ai chaud tout à coup. Je lui tends ma carte bleue sans la regarder. Une fois l'opération terminée, je marmonne un truc incompréhensible en réponse à son au revoir.

 

Je me dépêche de rentrer à l'hôtel, en essayant de ne plus pense à la caissière. Une fois arrivé, je fonce sous la douche. Je m'installe ensuite sur mon lit, où je me gave de pain et de fromage en regardant la télévision. Je me sens bien, détendu comme rarement. Le programme est nul, un jeu de question- réponse, mais ça m'est complètement égal, je savoure ce moment de calme. Je commence à comprendre ces types qui une fois rentrés chez eux, ne décollent plus du canapé sauf pour aller pisser au moment des pubs. Le Mâle après sa journée de labeur mérite bien un peu de repos, non? OK, passons.

 

Après mon repas simple mais néanmoins bourratif, je me prépare un café dans le verre à dent de la salle de bain. L'instantané préparé avec de l'eau chaude du robinet et assez moyen, d'autant que j'ai oublié le sucre. Il faudra que j'y pense demain, tout comme il faudra que j'appelle Jef. Mais je ne risque pas de l'oublier. J'hésite quant au moment pour lui téléphoner. Trop tôt, il pourrait croire que je m'accroche à lui comme à une bouée de sauvetage. C'est un peu le cas, mais il n'a pas besoin de le savoir. Dans la soirée, il risque d'être sorti. Alors je décide de couper la poire en deux : je l'appellerai en début d'après-midi.

 

Je passe d'une chaîne à l'autre et puis j'éteins pour lire un peu. Il n'y a aucun bruit dans l'hôtel. J'ai l'impression d'être le seul client. Je vais vérifier si la porte de la chambre est bien fermée. Quand enfin je m'endors, il est très tard.

 

 

 

 

 

CHAPITRE 7

 

 

 

 

 

 

Je me réveille en sursaut. Je regarde ma montre : il est neuf heures et je suis donc très en retard. Je bondis hors du lit, je fonce dans la salle de bains m'asperger le visage et de retour dans la chambre, j'essaye de démêler dans la panique mes vêtements que j'avais abandonnés la veille au pied du lit. Alors que je me débats avec une jambe de mon jean, je m'arrête soudain. Ce que je suis en train de faire rime à quoi? CUMPS ne va pas arrêter de tourner parce que je n'ai pas su me lever. Une des deux secrétaires prendra ma place et voilà tout. Qu'est-ce que j'ai à perdre? Les deux connes avec lesquelles je partage le bureau me détestent déjà et quoiqu'il arrive, mon contrat se termine à la fin de la semaine. Je décide donc de prendre tranquillement une douche, suivi d'un petit-déjeuner avant de les appeler pour leur dire que je ne me sens pas très bien mais que j'arrive dès que je serais passé chez le médecin.

 

C'est la première fois que je prends une décision de ce genre. Cela fait une sensation bizarre mais en même temps pas désagréable. C'est comme si je faisais l'école buissonnière.

 

Je prends donc mon temps. Quand j'arrive au bureau il est presque onze heures trente. Celle des deux filles qui m'avait remplacé à l'accueil, se lève pour regagner sa place dès qu'elle me voit entrer dans le hall. Toutes les deux m'ignorent royalement quand je passe à côté d'elles.

 

A midi, quand elles vont déjeuner, je me rends compte que je n'ai rien prévu pour manger. Je vais jusqu'aux distributeurs situés dans les vestiaires du personnel pour y prendre du café et quelque chose à grignoter. Des types qui travaillent sur le quai d'expédition sont en train de prendre leur pause. Pour eux aussi je suis transparent. Je ne suis pas vraiment de leur côté puisque je travaille dans les bureaux. Le détail qu'ils ignorent c'est que ceux des bureaux considèrent que ma place n’est pas avec eux non plus. Je crois pour voir dire que personne ne me regrettera vraiment à la fin de la semaine, excepté peut-être madame Roselyne.

 

J'ai oublié mon livre à l'hôtel. Pour passer le temps, je griffonne sur un bloc de papier en essayant de ne pas trop regarder l'horloge. Il n'est pas encore treize heures. Je suis tenté de laisser tomber, de ne pas appeler Jef. Je suis pratiquement sûr qu'il n'aura rien pour moi de toute façon. Treize heures et deux minutes, je décroche le combiné. Je compose le numéro de son portable pour avoir plus de chance de le joindre. Je tombe sur sa messagerie. Je raccroche sans laisser de message. J'attends cinq minutes avant de recommencer. Mes mains tremblent. Je prends une profonde respiration et je vérifie le numéro sur la carte de visite qu'il m'a laissée.

 

Ça sonne. Jef ne réponds qu'à la troisième sonnerie.

"- Allo!

Sa voix est assurée et forte. La mienne fait dans le vibrato.

"- Allo, Jef ?

· Allo, parlez plus fort, je ne vous entends pas.

· Jef, c'est moi, Greg.

· Ah Greg, comment vas-tu? Justement j'attendais ton coup de fil. Bon, j'ai peut-être un truc pour toi. Voilà, on développe une nouvelle branche dans l'entreprise. On travaille en sous-traitance pour des instituts de sondage qui ont trop de boulots. Je te passe les détails. En tout cas, en ce moment on recrute des personnes pour réaliser des questionnaires par téléphone. C'est tout bête, il suffit d'appeler les gens chez eux, poser deux trois questions et basta. C'est pas méchant. Le salaire est composé d'un fixe plus une commission par questionnaire remplis. Voilà, est-ce que ça t'intéresse

Je ne sais pas quoi répondre. D'accord, ce n’est pas l'emploi du siècle, le salaire ne semble pas mirobolant mais ça me sort de l'impasse où je risquais de croupir pendant pas mal de temps.

"- ça me paraît plus que bien Jef. Mieux que tout ce que je pouvais espérer. Merci, sincèrement, merci. Ça se passe où ?

· Ici, à Paris.

· Ah...

Jef doit percevoir la déception dans ma voix car il ajoute aussi vite :

"- On a une chambre de bonne qui ne nous sert à rien. C'est sous les toits. Ce ne sera pas le grand luxe, mais tu pourras aller et venir comme tu veux, tu seras chez toi. Pour le loyer on s'arrangera plus tard. Alors, tu viens?

 

 

Là je dois reconnaître que Jef me scie les jambes. Le matin, j'étais sûr qu'il me baladerait pour ne rien me proposer et au final, il me propose un travail, un toit. Une nouvelle vie en somme.

 

"- Je savais pas que tu faisais Père Noël à tes heures perdues. Je dois commencer quand?

· Y'a rien qui presse pour l'instant. Tu termines où tu es actuellement et tu viens t'installer ce week-end. Alors, je t'attends?

· Un peu que tu m'attends ! Je cours te rejoindre.

· OK, rappelle moi demain, je te donnerai les détails pour venir.

· A demain Jef, tu me sauves à un point que tu n'imagines pas.

· C'est rien. A demain Greg.

 

Un de mes défauts, qui sont nombreux je le reconnais, est de toujours craindre que mon interlocuteur n'est pas compris à quel point je lui suis reconnaissant quand ce dernier me rend service. Je suis toujours pris d'un besoin d'insister lourdement pour le remercier. Parfois, je dois même me contenir pour ne pas lui baiser les pieds. Enfin presque.

Là, j'ai envie de bondir en hurlant dans les couloirs. Je me sens léger, euphorique, Léonardo di Capprionesque à la proue d'un navire hurlant "I'm the king of the world". 

Quand le deux filles reviennent de leur déjeuner, l'air béat et le sourire subtilement crétin que j'affiche semblent les surprendre. Toutes les deux me regardent en se demandant si, en plus d'être le dernier des salauds avec les femmes, je ne tâterais pas de la fumette en douce, pendant la pause. Mais je suis si haut que rien ne peut m'atteindre. Je me souviens d'une chanson dont le refrain disait : " le futur est si lumineux que je dois porter des lunettes de soleil. " A cet instant précis, c'est exactement la façon dont je vois la vie.

 

 Et Louise n'est plus qu'un minuscule point noir dans mon azur, pas même un nuage, non, juste une tout petite chiure de mouche que bientôt j'effacerai.

 

 

 

 

CHAPITRE 8

 

 

 

 

 

 

L'après-midi est passée comme un rêve. A dix-sept heures, mes voisines de bureaux m'ont regardé partir d'un air effaré : pour la première fois depuis trois mois que je travaille chez CUMPS, je leur ai souhaité une bonne soirée avec le sourire en prime. Pour un peu, je les aurais embrassées si elles n'avaient pas été aussi connes. L'euphorie ne m'a heureusement pas fait perdre le sens des réalités.

Mais dans le fond, je suis d'une bonne nature : quand il tourne tout seul, j'adore le monde entier.

Je fais un crochet par le centre commercial où j’achète de quoi fêter la bonne nouvelle de la journée, j’ajoute à mes achats un cahier et un feutre bleu. Je vais même jusqu’à rechercher la caissière de la veille, celle qui s’était foutu de mes sous-vêtements. Peine perdue, elle ne doit pas travailler ce soir. D’ailleurs je ne sais pas ce que j’aurai fait. Je lui aurais simplement souri peut-être.

Je rentre à l’hôtel, prends une douche et je m’installe devant la télé pour manger. Je découvre que finalement, certaines habitudes routinières ont du bon. Après tout où est le mal à recommencer chaque jour une activité qui procure un peu de satisfaction. Des milliards de personnes font bien quotidiennement les mêmes choses qu’elles détestent sans que personne ne trouve cela choquant.

Une fois le repas terminé, je prends le feutre et le carnet et je commence à dresser la liste de ce que je ne dois pas oublier d’ici la fin de la semaine et le départ pour Paris. Il s’agit surtout d’une liste des objets qui me semblent indispensables bien que je sache que je peux pas m’encombrer : j’ignore complètement ce que me réserve la chambre de Jef. Je trouverai sur place ce qui me manquera.

Et puis j’arrive au point qui me semble le plus important de cette liste, le reste n’était que des détours, des prétextes pour ne pas arriver à cette endroit précis : avant mon départ, il me faudra récupérer certaines de mes affaires qui sont restées chez Louise. Toute mes affaires en réalité, puisque je suis parti tel quel, les mains dans les poches, avec pour tout bagage ma colère et l’envie de ne plus revenir. Mais la colère n’a jamais vêtu son homme et un sac de vêtements me semble plus utile pour l’heure. J’essaye de me souvenir des différents éléments qui composent ma garde robe et de quelques objets auxquels je tiens le plus. Le reste, Louise en fera ce qu’elle voudra, ce qui à mon avis se traduira par un nettoyage par le vide de l’étagère et du tiroir qui représentaient les limites de mon territoire dans le domaine “ louisien ”. Mais je ne perds pas de vue que tous ces calculs, ces échafaudages de plans reposent sur un point délicat : je dois lui téléphoner pour demander son accord. Je pars avec un lourd handicap : j’ai horreur du téléphone et Louise et imbattable à l’épreuve du dernier mot. Cependant, je ne peux pas y couper puisque je suis parti en oubliant mes clés, comme d’habitude, dirait-elle. Si j’étais moins étourdi, il m’aurait suffit de patienter qu’elle quitte les lieux pour effectuer un saut rapide dans l’appartement. J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, l’évidence me nargue, je devrais l’appeler. Et comme le fer doit être battu à bonne température, je décide de m’exécuter dès le lendemain matin, en espérant un sursaut de mansuétude sa part, qu’elle n’est plus envie d’assouvir sa vengeance certes légitime, mais qui m’emmerde.

Pour l’heure, j’ai envie de profiter encore un peu de la douce euphorie qui m’accompagne depuis le début de l’après-midi. J’éteins la télé ainsi que la lumière, et je m’étends sur le lit d’où je laisse mon esprit filer à sa guise.

Passées les joies limitées que peut offrir le ciel couvert d’une soirée de fin d’hiver, celui-ci revient vers les derniers jours qui se sont écoulés dans le but évident de foutre en l’air l’autosatisfaction qui me réjouissait jusque là.

C’est quand même étonnant cette constance de ma vie à dépendre de celle des autres. Il y a quelques jours encore, Louise décidait du moindre de mes détails, aujourd’hui, Jef m’offre la possibilité de me refaire mais je dois encore compter sur la clémence de Louise pour récupérer ce qui m’appartient. Avouons qu’il y de quoi descendre de son piédestal, aussi modeste fut-il. J’essaye de remonter aussi loin que possible, mais je crois qu’il en a toujours été ainsi. J’étais un enfant au caractère doux et conciliant, selon ma mère, et un gamin mou, influençable et sans intérêt selon les différents instituteurs qui ont jalonné ma scolarité. Même pour choisir une orientation après le bac, je m’en étais remis aux conseils de mon père qui voulait surtout que je trouve rapidement un travail et que mon salaire arrondisse ses fins de mois. Là aussi, le hasard a plus agit que mes choix. Aujourd’hui, je l’avoue, ma carrière d’intérimaire n’avait rien d’une vocation. 

Et l’amour, me direz-vous ? “ Pas mieux ”, répondrai-je. J’ai déjà dit que ma vie sentimentale se résumait à rien. Un néant abyssal, un désert sans fond où même l’échec donnait au moins la sensation d’exister. J’ai appris assez vite que j’étais plus doué pour prendre des râteaux que pour rouler des pelles. Une fois ces choses établies, j’ai usé de la dérision comme d’une armure, je me moquais de moi avant que les autres ne le fassent. Dans mon catalogue personnel de tares et de défauts, je suis quand même doté d’une forme de lucidité à mon égard qui me met à l’abri de désillusions et de blessures inutiles. Il y a quand même des failles dans la carapace, parfois je me laisse encore avoir, mais dans l’ensemble, la protection est somme toute efficace.

La rencontre avec Louise n’a rien d’un coup de foudre mais plutôt tout d’un malentendu orchestré par un ami, du temps où il m’en restait encore quelques uns. Si Louise et moi ne partageons qu’une seule chose, c’est le peu de goût pour les sorties, les boîtes de nuits, les bars et les soirées entre potes. Il aurait fallu un malheureux concours de circonstance, un coup de déveine, un hasard facétieux pour nous mettre en présence l’un de l’autre. Mais il avait suffit de Pierre. Je l’avais connu au lycée. Il avait décidé qu’on était amis, et comme je ne suis pas du genre à contrarier les gens, j’avais laissé faire. Les années passant, Pierre ne renonçait pas à son amitié malgré le peu d’enthousiasme que je montrais en sa compagnie. Il nous arrivait souvent de sécher les cours ensemble, mais les heures passées en sa compagnie ne changeaient rien à mon opinion : Pierre était un crampon de première.

Plus tard il rencontra une fille ave laquelle il s’installa rapidement. Je me croyais tiré d’affaire, après tout la vie en couple sonnent souvent le glas des amitiés les plus solides. Malheureusement, Pierre était du genre fidèle. Aussi, il ne manquait jamais une occasion de m’associer à son bonheur conjugal dès que l’occasion se présentait. J’ai donc eu droit à la crémaillère de leur premier nid, les invitations régulières à dîner et à rester dormir (il est trop tard pour rentrer à cette heure !), au déménagement vers un nid plus grand, aux premières disputes, aux premières fissures dans le plâtre du bonheur et pour terminer, à la séparation douloureuse pour tout le monde, moi y compris, du couple. Je dis douloureuse pour moi car bien sûr, en qualité de meilleur ami, il était inconcevable que je ne fusse pas le confident et le consolateur de Pierre.

 Avant d’en arriver là, alors que tout était pour le mieux dans sa vie, Pierre se mit en quête d’une petite amie pour moi. Mon célibat forcé devait probablement faire tache dans son décor. Son obstination à me trouver quelqu’un finit par être payante et Louise entra dans mon existence par la petite porte. Comment convaincre un type seul, un peu naïf, et vaguement désespéré, qu’on a trouvé la perle rare qui lui convient ? On ne lui dit pas. On lui fait croire que c’est elle qui vous a trouvé, que le coup de foudre existe et que vous en êtes à l’origine. Et plus c’est gros, plus ça passe. Et vous vous retrouvez quelques années plus tard, à vous demander tous les matins ce que vous foutez là, pourquoi vous avez fait cette erreur à vingt ans qui vous en coûte le double. Et vous maudissez le type qui est la cause de tout ça.

Apres la rupture de son couple, Pierre a quitté la région pour aller plus au sud. Je suis sûr que lorsqu’il repense à cette période, il doit encore rire du tour qu’il m’a joué.

L’enculé.

 J’ai l’air de lui en vouloir, mais pas tant que ça en vérité. Après tout, sans lui je serais probablement encore dans ma chambre, chez mon père, à attendre qu’une chose arrive sans savoir quoi, à rêver chaque soir, chaque week-end, en écoutant de la musique que je suis le leader d’un groupe majeur du rock. La semaine, j’irais bosser, le samedi j’irais répéter avec mes potes, ceux que Louise a fait fuir au fil des années. On rirait des même blagues nulles qui nous faisaient déjà rire des années plus tôt, on aurait même plus besoin de les dire, on y penserait au même moment et ça suffirait. On passerait des heures à discuter musique, des derniers albums de nos groupes mythiques qui ne passent jamais à la télé ou à la radio, on dénigrerait tous ces jeunes groupes de merde qui auront tout piqué aux anciens, mais sans le talent.

Et surtout, il n’y aurait pas de filles pour venir dérégler cette mécanique bien huilée et inutile que seraient nos vies. Sauf que ça ne s’est pas passé comme ça bien sûr. Il a fallu que l’un de nous soit le premier à avoir une petite amie, qu’il soit moins disponible, que ses rêves de gloire soient revus à la baisse pour devenir un emploi stable et un appartement sympa mais pas trop cher. Il a fallu que Pierre s’en mêle. Parce que c’est moi, Greg, le plus motivé de la bande, celui qui était prêt à tout sacrifier pour tenter sa chance, le plus intransigeant, c’est moi qui ait craqué le premier.

Pourquoi a-t-il fallu que Pierre s’en mêle et s’emmêle ? Car après tout, il aurait pu faire un choix qui me convienne, trouver “ La fille “  dont je ne rêvais pas mais qui serait devenu mon idéal féminin. Son initiative, c’était un peu la loterie et je n’ai jamais eu de chance au jeu. Dans la famille “ pas de bol ” je voudrais Greg : bonne pioche.

Merde, il fait chier ce con, si un jour je le retrouve… Ben quoi, si je le retrouve ? Rien évidemment, après toutes ces années, je me vois mal lui faire des reproches, lui dire : “  dis donc vieux, merci bien pour le cadeau, t’avais pas pire à me refiler comme copine ? C’était une fin de série, une laissée pour compte dont personne ne voulait et t’as pensé à moi ? “  Et lui répondrait : “ Ben quoi, t’étais pas content au début de l’avoir cette fille ? Tu te voyais pas amoureux d’elle ? Parce qu’entre nous, tu crois pas que t’étais mal barré ? D’accord c’était pas la fille de tes rêves mais sérieusement, dans ce domaine, des rêves, t’en avais pas des tonnes à l’époque. Et puis surtout, personne t’as obligé à rester jusque là, à fermer ta gueule et à subir. Alors tes reproches, je m’assieds dessus. ”

Et il n’aurait pas tors. Sauf pour les rêves. Je n’en n’ai jamais manqué en ce qui concerne les filles. Mais rien n’est arrivé comme je l’aurais souhaité. C’est tout. Même lorsque j’étais avec Louise, je n’ai jamais cessé d’espérer quelqu’un d’autre. A la moindre occasion, ça partait au quart de tour. Il suffisait d’un regard croisé par hasard, d’un sourire, d’un geste et je m’emballais. Seulement dans ma tête, jamais plus loin.

Je me souviens de cette fille, par exemple, dont j’avais partagé le bureau le temps d’un remplacement. Je n’avais échangé que quelques paroles avec elle, le minimum nécessaire pour qu’elle m’explique ce qu’on attendait de moi. Et pourtant ça avait suffit. Comme je n’avais pas un tempérament de dragueur et que je suis plutôt discret, au bout d’un moment, les filles baissaient leur garde pour m’oublier ou quasiment lorsque j’étais là. Ce fut encore le cas. Je suis certain qu’elle n’a jamais soupçonné ce qui se passait sous mon crâne pendant toute cette période. Je la regardais à la dérobée dès que j’en avais l’occasion, éventuellement je lui souriais quand j’en vais le courage. Mais jamais une parole ne fut prononcée, aucun sujet personnel ne fut abordé, je n’ai jamais su où elle vivait, si elle était célibataire, et elle ne m’a jamais rien demandé.

 Elle n’a jamais rien su non plus de ma douleur, chaque fois qu’elle répondait au téléphone en ma présence, que le ton de sa voix changeait, qu’elle riait à une plaisanterie que je ne pouvais entendre. Ces appels arrivaient toujours aux mêmes heures. Parfois, je comprenais qu’elle aurait aimé que je sorte pour parler plus librement, ces réponses alors se limitaient à des “ oui / non ”, des phrases inachevées, des demi-mot. Mais c’était ma petite vengeance, quand elle disait : “ je ne peux pas parler ”, de ne pas comprendre et je restais devant elle, le nez dans des papiers auxquels je ne comprenais rien parce que j’essayais de saisir leur conversation. Et je les détestais, l’un comme l’autre. Je n’étais pas jaloux du type à l’autre bout du fil, mais de ces conversations que je n’aurais jamais, ni avec elle, ni avec une autre.

Vu d’ici, c’est ridicule, je sais bien mais on ne contrôle pas tout dans la vie. Heureusement, j’ai toujours su qu’il ne fallait pas aimer au-dessus de ses moyens. Cela m’a au moins permis d’échapper au ridicule, si je lui avais avoué ce que je ressentais pour elle, ou une autre.

J’abandonne la fenêtre et regarde le réveil. Il est plus d’une heure du matin. J’appellerai Louise tout à l’heure, mais là, il faut que je dorme.

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