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parler fait fuir les betes
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2 juin 2007

V

CHAPITRE 16

 

 

 

De retour dans le quartier de Jef qui est aussi le mien maintenant, d’ailleurs, ça doit faire bien quand on dit : « J’habite Montmartre, près des Abesses… », immédiatement ça doit vous situer, je veux dire socialement, même si dans mon cas, ça ne prouve pas grand-chose, « apparence, tout n’est qu’apparence » comme disait je ne sais qui.

De retour donc, je me promène en prenant mon temps. Le soleil timide a fait éclore les jeunes filles aux tenues fleuries, les sourires aux lèvres et les verres aux terrasses des cafés. Ce sont des petits bonheurs qu’ici et là je me surprends à apprécier. Il y a quelques temps encore, je ne les aurais même pas remarqués. Le nouveau Greg n’est plus très loin, je le sens. Aux abords du Sacré-cœur,des touristes s’extasient devant un type couvert de peinture dorée qui fait la statue, certains jettent quelques pièces, d’autres sourient, d’autres encore posent devant lui pour des photos souvenirs. Etonnant comme un type qui ne fait rien puisse avoir un tel succès. La couleur peut-être ? Je devrais essayer, j’ai peut-être mes chances dans ce secteur, pas de compétence particulière requises, hors mis savoir se peindre proprement.

Un peu plus loin, des types qui se disent peintres ou dessinateurs profitent de la renommée du quartier pour faire tourner leur petit business. La plupart semblent être étrangers, sachant juste dire le prix de leurs travaux, s’exprimant surtout par gestes. L’ensemble donne une impression de vaste arnaque pour touristes en mal de dépaysement. Je veux bien être émerveillé par Paris, mais difficile de fermer les yeux tout le temps.

Je continue la balade, au hasard, comme j’aime le faire. Je trouve que c’est la meilleur façon de découvrir une ville inconnue, on s’en remet à un rien pour trouver son chemin : une vitrine au loin, la forme d’un immeuble, un attroupement. J’ai souvent connu d’agréables surprises en ma laissant guider par une sorte de petite voix intérieure pour trouver mon chemin. Dommage que ça ne fonctionne pas de cette façon pour ma vie parce que là, elle ne dit rien cette petite voix, ou alors je suis un peu sourd selon ce qu’elle me raconte.

Je finis par arriver sur un grand boulevard sur lequel se suivent et se ressemblent sex-shop, sex-centers et peep-shows. Là encore, des touristes en troupeau s’encanaillent en attendant l’heure de remonter dans le bus. Ils rient, font mine de trouver tout cela choquant mais on fond, derrière ces mimiques, on sent le trouble chez la plupart et le soir, dans la chambre d’hôtel, quelques bobonnes permanentées bénéficieront de l’émoi provoqué par cette visite. Je m’éloigne vers des ruelles moins fréquentées. Au passage, je fais une halte dans une épicerie le temps d’acheter de quoi grignoter. Voilà encore une chose à laquelle il faut que je m’habitue à penser : me nourrir correctement.

 Cela fait dix jours environs que j’ai quitté Louise et je ne suis toujours pas installé dans ma nouvelle vie. J’ai le sentiment de n’être qu’un touriste de ma propre existence. Qu’est-ce que j’ai fait jusqu’à présent ? Dormi à hôtel, changé de ville, et puis quoi ? Ma nouvelle vie, quelle blague, sera-t-elle vraiment si différente que la précédente ? Car au fond, ce ne sera qu’une suite de nouvelles habitudes, un enchaînement de gestes quotidiens chaque jour répétés, la différence est que tout ce qui pourra s’y produire dépendra de moi et non plus de Louise. Pas très encourageant tout ça, si j’y réfléchi un peu. Mais bon, je ne vais pas faire marche arrière maintenant.

L’après-midi défile rapidement, de découvertes en surprises, de grignotages sur un banc en haltes dans de petites librairies. Un coup d’œil à ma montre, il est déjà l’heure de retourner à mes appels téléphoniques.

Après m’être un peu emmêlé dans les lignes de métro, j’arrive au bureau où Emma est déjà derrière son écran.

« Ça va ? Tu as récupéré de tes émotions de ce matin?

Je réponds par un sourire niais et un marmonnement auquel elle ne doit rien comprendre mais visiblement cela semble lui convenir. Je suis sincèrement reconnaissant à Emma de la bonne volonté dont elle fait preuve pour m’accueillir, j’ai envie de ne pas la décevoir, enfin pas trop vite. Aussi, je prends sur moi pour lui poser quelques questions anodines sur le travail, les autres personnes de l’équipe. J’évite soigneusement tout sujet un peu trop personnel qui pourrait ressembler de près ou de loin à une tentative de drague. Je n’ai déjà pas l’image d’un type très efficace, de surcroît ami du patron, pas la peine d’y ajouter celle de boulet. Je parviens assez rapidement à prendre le bon rythme pour interviewer mon panel de sondés, j’arrive à adopter un ton plus assuré, chaque appel reste dans les temps estimés rentables par les chefs, je suis assez content de moi, au point de me détendre un peu et même oser une ou deux plaisanteries au passage. A la pause, Emma me félicite et m’encourage, les deux autres semble s’en moquer royalement. Jasmine est rivée à son portable tandis que Paul engloutit deux sandwiches au thon et à la mayonnaise. Seule Emma me parle, me pose des questions sur moi, d’où je viens, ma vie d’avant. Le plus curieux et surtout le plus inhabituel pour moi c’est qu’elle semble écouter ce que je dis. Elle donne l’impression de s’y intéresser. D’accord, certaines personne on cette faculté de savoir écouter les autres, quels qu’ils soient, mais tout de même, je n’ai pas l’habitude qu’on me porte

un tel intérêt. La pause se termine trop vite à mon goût. Nous reprenons le travail et malgré moi je ne peux m’empêcher de regarder Emma à la dérobée entre deux appels. Parfois, il me semble qu’elle m’observe aussi ce qui a pour effet de me perturber sensiblement. Je commets plus d’erreurs dans les numéros, m’embrouille dans mon texte. Je pense à mettre ça sur le compte de la fatigue de cette première journée. C’est avec soulagement que je vois Paul et Jasmine se éteindre leur ordinateur. Je vais en faire autan quand je m’aperçois que Jef est à côté de moi.

«  Alors, ça va ? Pas trop difficile cette première journée ?

- Non, pas trop de problèmes. Je crois que c’est juste une question d’automatismes à acquérir, après on parle sans s’en rendre compte.

- Parfait, alors tu reviens demain ?

- Si tu veux toujours de moi, c’est OK.

Jef me fait son sourire N° 27, celui qui sert à mettre les employés dans sa poche, et me tend la main pour me signifier qu’il est temps de partir.

Lorsque je me retourne, Emma n’est plus là. Sans trop savoir pourquoi, je ressens une petite déception. Un peu naïvement, je pensais qu’elle aurait attendu que Jef s’en aille pour me dire bonsoir. Mais j’oublie souvent qu’on est dans un monde où c’est chacun pour soi, où le temps est compté pour chacun, pas une minute à perdre pour les autres. Et puis peut-être est-elle attendue ? Un mari, un ami, un amant, des gosses, sa mère, son chien, son  chat.

Merde, Greg ! Qu’est-ce que t’es en train de faire ? Un film, comme d’habitude. Cette fille s’est juste montrée sympathique pendant une pause de dix minutes, il n’y a pas de quoi s’emballer comme tu es en train de le faire.

Pourquoi aurait-elle attendu ? De toute façon, elle te reverra demain, elle aura d’autres occasions de te dire « bonsoir », alors tu te calmes.

Mes vieux démons me reprennent, on dirait. Je ne peux décidemment pas partager un bureau avec une fille sans que mon imagination parte en vrille. C’est puéril, idiot et assez lamentable. C’est tout moi, quoi.

J’arrive au métro, la rame est pratiquement déserte à cette heure-ci, je m’assieds et je suis repris par le cours de mes pensées. Je revois le fil de la journée, l’arrivée avec Jef, les présentations, les explications d’Emma, les pauses café. Voilà un moment clé : les pauses café. Si je veux mieux la connaître, je dois profiter de ces vingt minutes quotidiennes pour en savoir plus sur elle. Doucement Greg, ne recommence pas…

D’accord, je me calme, mais sympathiser, ça n’engage à rien. Enfin, pas tout de suite. Bon allez, je ferai comme d’habitude, je verrai bien ce qui arrivera. A mon avis, ce ne sera pas grand-chose.

Et merde, je viens de rater ma station.

 

 

 

CHAPITRE18

 

 

Nouvelle journée, nouveau réveil laborieux (tiens, à ce propos, il faudrait penser à en acheter un. Mal nécessaire si je veux faire quelque chose de mes journées, à part aller bosser). J’essaye de rassembler mes idées tout en préparant du café (noter également que je dois acheter une tasse pour le bureau), ce qui n’est pas si aisé que ça quand on a des neurones de mâle. Le matin, l’immeuble est calme. Je ne serais pas surpris d’apprendre qu’il est vide à cette heure de la journée. J’apprécie ce silence qui m’entoure, il me donne l’impression de ne pas être encore entré dans la réalité, comme si je me trouvais dans un sas avant d’affronter la vie, les coulisses de mon existence.

Ce petit nœud au ventre le matin, ne me quitte jamais depuis que je suis arrivé à Paris. Cela fait presque un mois que je suis me installé chez Jef, et chaque jour, cette petite douleur est fidèle au poste. Je ne sais pas ce que je crains, je me plais ici,  même si je ne mène pas une existence palpitante entre le bureau, le métro, mon placard sous les toits. Mais j’ai mes repères, mes habitudes, ma routine qui me rassurent. Je me suis surpris à être assez organisé pour me nourrir chaque jour et avoir régulièrement du linge propre.

 Et puis il n’y a plus Louise.

Il n’y a plus personne d’ailleurs. La liberté entraîne-t-elle obligatoirement la solitude ? Je n’en sais rien. Pour l’instant je le vis bien, pour combien de temps, c’est une autre histoire.

Il y a Emma aussi, comme une petite lumière dans mes journées. Ses sourires, son regard, les paroles échangées, les cafés partagés. Ce sont quelques instants saisis par -ci par-là. Pour le moment, ils me suffisent. Je ne crois pas être capable de pouvoir en attendre plus de la vie. Qui suis-je après tout pour espérer plus. Je ne suis pas grand-chose et quand on y regarde de plus près, aucun indice ne vient donner l’impression que cela risque de changer un jour. Emma ignore bien sûr ce que je pense, mais au moins semble-t-elle apprécier ma compagnie. C’est mieux que rien.

Je devrais en faire ma devise « c’est mieux que rien ». Ce sont quelques mots qui aident parfois à traverser la vie sans trop de bobos. J’ai un travail sans intérêt et mal payé : c’est mieux que rien. Mes amours sont tristes, mais c’est mieux que rien. Ma vie est morne et sans intérêt mais je suis vivant : c’est mieux que rien.

Premier café de la journée, celui que je préfère. Dans ma petite chambre, assis devant ma petite fenêtre, je regarde les toits qui s’étendent sous mes yeux, comme une mer de tôle et de zinc infinie. Je n’ai pas envie de bouger, pas envie de sortir. J’ai à peine assez d’énergie pour porter cette tasse à mes lèvres. Pourtant il faudra bien, comme tous les jours, trouver les raisons qui me feront sortir de mon terrier pour regagner le monde des vivants.

Le matin est parfois la première épreuve de la journée. La journée n’est souvent qu’une suite d’épreuves.

Mais c’est toujours mieux que rien.

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